Premiers pas dans les contrats : rencontre avec les équipes de la Métropole Aix Marseille Provence #1

Votre mission, si vous l’acceptez, est d’aller décortiquer le contrat de ville à la sauce Aix Marseille Provence. Sacré défi pour les novices de la politique de la ville que nous sommes. La métropole d’Aix Marseille Provence a des allures de mastodonte de la politique de la ville : sur un territoire de 3200 km2, 56 quartiers politiques de la ville, 16 contrats, et une communauté d’agents dédiés à leur animations et mise en œuvre. Alors, pour ne pas avoir l’impression de gravir le Mont Blanc avec des tongs, nous avons identifié, avec nos complices du Lab des Possibles, deux territoires : Salon-de-Provence et Martigues. En novembre dernier, nous sommes donc partis à la rencontre de nos deux terrains de jeu pour ces 16 mois de recherche-action. Deux contrats, deux organisations différentes, liés par un même portage métropolitain. D’un côté une « équipe intégrée » (pilotage et animation par la Métropole),  avec des chargés de mission thématiques, de l’autre une gestion administrative du contrat de ville par la métropole en appui aux équipes municipales de développement social urbain des villes signataires.

On vous partage ici ce que l’on retient de ces deux jours de rencontres à la découverte d’une politique toute aussi passionnante que complexe. Musique maestro !

Le contrat de ville vu par ses chef.fes d’orchestre

Dans cette première phase d’immersion nous avons réalisé une série d’entretiens auprès des équipes pour essayer d’y voir plus clair sur ce fameux contrat, et en ressortir les principaux éléments de compréhension.

Un travail collégial. Le contrat de ville est un grand ensemblier qui permet de mettre au diapason les différents partenaires de la politique de la ville, et offre l’opportunité d’un dialogue inter-institutionnel (et de se retrouver concrètement autour de la table). Les partenaires définissent collectivement les enjeux de programmation. Il repose aussi en grande partie, pour la réalisation de ses objectifs, sur la participation de structures sociales et associatives avec qui les équipes sont en proximité (ce qui passe par un important travail relationnel de terrain, souvent invisible et peu valorisé), et des citoyen.nes quand des instances efficientes sont mises en place. A Martigues, les conseils citoyens complètent une longue tradition de coopération avec les conseils de quartiers par exemple : «  On essaye de voir les conseils citoyens au moins une fois tous les deux mois ». Ils sont aussi mobilisés pour rendre un avis sur les projets proposés dans l’appel à projet de la programmation qui concernent directement leur quartier.

Contrat de ville et droit commun : Suis-moi je te fuis ! C’est un peu le nerf de la guerre des contrats de ville. Si le droit commun s’applique partout et inconditionnellement, dans les faits, pour garantir une égalité d’accès à ces droits, certains quartiers (la géographie prioritaire est définie nationalement) bénéficient d’une attention spécifique du fait de la plus forte vulnérabilité de leurs habitant.es, nécessitant une action de proximité. C’est la politique de la ville. Mais dans les faits, c’est plus compliqué. Le contrat de ville oscille à la fois entre promotion des quartiers (par des moyens humains et financiers supplémentaires) et palliatif à la carence du droit commun.

Expérimenter : l’ADN du contrat de ville. Le contrat de ville est un véritable incubateur pour certaines actions auxquelles il offre un terrain d’expérimentation et « permet de faire preuve de concept » avant leur éventuel passage dans le droit commun. Cependant, si pour certains agents la porte de sortie vers le droit commun est grande ouverte, il n’en est pas de même pour tous : « j’ai des portes de sortie, ma collègue de la culture a moins de facilité ». Le tremplin vers le droit commun est donc loin d’être systématique.

Des financements spécifiques : les différents partenaires mettent en effet au pot commun pour financer des actions pendant un an.

Un dispositif parmi d’autres dispositifs. Plan local de santé, ou encore programme de réussite éducative par exemple, des dispositifs connexes mais fortement liés au contrat de ville existent. Le programme de réussite éducative, qui repose sur le suivi de familles, permet de faire remonter des besoins et contribue au diagnostic du territoire sur lequel reposent les orientations et les grands enjeux de la programmation annuelle du contrat. Le contrat local de santé, quant à lui, voit certaines de ses actions financées dans le cadre de l’appel à projets du contrat de ville.

La grande valse de la programmation annuelle.

Le contrat de ville repose en grande partie sur la programmation annuelle, qui donne la cadence des projets sur l’année. Ce sont concrètement les actions financées pour un an selon leur correspondance aux enjeux et objectifs définis par les partenaires. Une fois toutes les étapes soigneusement exécutées (on vous les détaille juste après), c’est déjà le moment de recommencer, et la musique repart sans laisser place à un pas de côté.

La valse de la programmation en 7 temps (non exhaustifs) :

En coulisse : L’équipe politique de la ville travaille les dossiers avec les structures locales.

Puis la musique démarre :

1 – Avant la fin d’année, les structures déposent les projets sur la plateforme MGDIS (spécificité de la Métropole), sur un ou plusieurs QPV, ou comme dossier territorial (si tous les QPV du contrat sont concernés). Les quartiers de veille active (ancienne géographie prioritaire) ne peuvent faire l’objet d’actions directement. Un projet doit faire référence explicitement à une fiche action (ou plusieurs) définie(s) par les partenaires du contrat, et respecter les objectifs associés.

2 – Pré-lecture des dossiers par l’équipe politique de la ville.

3 – Le Cotech se réunit en janvier, c’est « la gare de triage », les partenaires émettent un avis technique (favorable, défavorable, réservé).

4 – Le comité de financement : les financeurs se positionnent et allouent des financements aux actions.

5 – Le Copil, aux environs du mois de mars, une instance de validation, ritualisée, « mais sans surprise » car les décisions ont été prises dans les étapes précédentes.

6 – Distribution des financements (entre mai et juillet).

7 – C’est la rentrée, lancement du nouvel appel à projet pour l’année suivante.

Soucieux de l’exécution de la partition, les agents de développement social et urbain sont pris dans la cadence. La programmation rythme l’animation du contrat de ville, et occupe une place considérable dans les agendas (et dans l’énergie) des professionnel.les.

Les bémols qui font fausse note

Au fil des échanges se dessinent des sujets qui pèsent sur le travail des chevilles ouvrières du contrat. En se reprécisant, ils pourront faire l’objet d’expérimentations en 2023, selon les envies des équipes. Affaire à suivre…

Ainsi font font font … les évaluations ?

« Nous avons besoin de mesurer davantage ce qui est produit ». Là demeure un petit sujet pour le contrat de ville, et malheureusement, les récits de nos complices font peu état d’un format optimal :

  • Les structures évaluent leurs propres actions, il n’y a pas de tiers pour l’évaluation.
  • La forme laisse peu de place au sensible (parfois ce sont des cerfa). « Quelle place pour l’impact pour les habitant.es du quartier, au-delà de considérations quantitatives ? ». On ne fait pas ressortir ce qui a fonctionné, et « le public est assez peu mobilisé dans la politique de la ville, on n’a pas de retours des habitant.es ».

Et si la programmation se faisait sur un nouveau tempo ?

On a essayé de vous le montrer à travers la « valse de la programmation annuelle », des candidatures pour l’appel à projet jusqu’à l’évaluation, en passant par toutes les instances de présentation et co-décision, l’approche programmatique sollicite une grande partie de l’année les partenaires pour son animation, mais aussi les associations qui parfois ne reposent que sur des bénévoles. Ce fonctionnement pose plusieurs problèmes :

  • Le contrat finance des actions. En politique de la ville, il n’y a pas de budget de fonctionnement, les associations sont pourtant en demande de financement de ressource humaine.
  • Certaines associations arrêtent de proposer des activités dans ce cadre car le processus est trop chronophage, et les financements n’arrivent qu’une fois l’année bien entamée, ce qui pénalise les associations reposant en grande partie, voire uniquement, sur le bénévolat, et qui on peu de fonds propres : « On a beaucoup de petites associations qui ne répondent plus à l’appel à projet », « pour passer en instance de délibération, il faut rendre sa copie 2 ou 3 mois avant, et le financement n’arrive qu’en milieu d’année ».
  • La reconduction d’une action n’est pas automatique, les projets doivent être reproposés chaque année.
  • Pour les agents, cela illustre le côté « machine administrative » du contrat. Ils sont sont en recherche de souplesse face à un processus plutôt rigide, « on n’est pas instructeur de dossiers de subvention, on est chargé de développement », voudraient pouvoir accueillir des projets au fil de l’eau.

L’appel de l’opérationnel :

Malgré une proximité avec le terrain, les agents semblent regretter que le côté administratif prenne le pas sur l’opérationnel. Une fois les actions validées, leur intervention s’arrête : « ce qui peut manquer, c’est la mise en œuvre opérationnelle » ; « jusqu’à il y a peu, je ne connaissais les dossiers que par le papier, mais depuis quelques temps j’ai réussi à m’échapper pour aller voir sur le terrain ».

Et aussi … :

  • Géographie prioritaire : volonté de donner quand même une place aux quartiers de veille active.
  • Les conseils citoyens : dont le succès varie selon les territoires. Le risque, c’est que cette instance soit trop descendante, car instituée par la loi Lamy. Mais sur certains territoires, les conseils citoyens semblent être de véritables parties prenantes de la programmation, en capacité de rendre un avis éclairant et construit sur les projets. Ils sont de véritables relais dans les territoires.
  • Un contrat non contraignant : le contrat a avant tout une valeur symbolique, avec signature des partenaires. Mais dans les faits, certains acteurs se désengagent, ou limitent la mobilisation de leurs moyens de droit commun.